Retrouvez toute la programmation archéologique dans l'agenda 2024
Transmettre un savoir sur votre territoire :
Archéologie au Village
Nous devons une gratitude sincère à tous les bénévoles qui se sont investis sur les opérations archéologiques ainsi qu’aux habitants de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Valcabrère qui manifestent leur curiosité et leur bienveillance depuis le début des opérations conduites dans les deux villages. Sans eux, sans vous, il n’y aurait pas d’archéologie au village !
Quelques chiffres
• Associant une vingtaine de chercheurs pour autant d’axes de recherche et une cinquantaine de collaborateurs, Le programme archéologique est aujourd’hui soutenu par de nombreuses institutions : les mairies de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Valcabrère, le département de la Haute-Garonne, la Région Occitanie, le Ministère de la Culture (DRAC/SRA Occitanie), l’École pratique des hautes études (laboratoire UMR 8546 AOrOc, CNRS ENS-Paris/université PSL) avec la collaboration de l’Institut universitaire de France et la société Éveha/Éveha International.
• Sept années d’enquête archéologique (2016-2022) ont permis d’élaborer autant de rapports d’opération pour un total de neuf volumes et 3185 pages. En sept ans, le programme a donné lieu à la publication d’une dizaine d’articles scientifiques et d’un catalogue d’exposition.
• En 2022, nous avons accueilli plus de 2225 visiteurs comptabilisés et un peu moins de 1000 scolaires sur le chantier de Saint-Just de Valcabrère. L’exposition organisée pendant l’été 2022 a été visitée par plus de 10.000 personnes.
« Saint-Bertrand-de-Comminges/Valcabrère : entre ville et campagne. Archéologie d’un territoire de la protohistoire à aujourd’hui. »
Projet collectif de Recherche (PCR) de l’École pratique des hautes études (UMR 8546 AOrOc, CNRS ENS-Paris/Université PSL) avec la collaboration du Musée archéologique départemental de Saint-Bertrand-de-Comminges et de la société Éveha/Éveha International
Sous la direction de William Van Andringa (École pratique des hautes études, Paris)
Le projet 2016-2022 en images
Fig. 1 – 2016 : les premiers sondages sur le site du mausolée d’Herrane (cliché J. Estrade). Le début de l’enquête !
Fig. 2 – 2017 : premiers sondages sur le site de Saint-Just : 6 archéologues présents sur la photo sont toujours là en 2022 !
Fig. 3 – 2018 : le chantier de Saint-Just. Ouvrir le sol pour comprendre, étudier et conserver !
Fig. 4 – 2019 : l’équipe s’étoffe d’année en année : l’équipe Saint-Just, sous le soleil cette fois !
Fig. 5 – 2020 : une découverte majeure, le mausolée K. Une salle hypogée de 110 m2 et 6 mètres sous voute. L’un des tout grands mausolées tardifs d’Occident !
Fig. 6 – 2021 : un nouvel outil de détection est inauguré (doc. C. Fruchart) : le LiDAR. Un avion muni d’un laser est passé sur le village le 17 février 2021. Le résultat ? Des milliards de points et un paysage entièrement déshabillé, révélant les microreliefs laissés par les populations du passé.
Fig. 7 – 2022 : fouille du grand mausolée K (cliché F. Giraud). Le monument nécessite une dernière campagne, programmée en 2023. La pièce à conviction principale de l’énigme Saint-Just !
Un projet scientifique destiné à révéler un territoire et son évolution sur la longue durée
Après un premier triennal achevé en 2020, le Projet Collectif de Recherche sur l’antique Lugdunum des Convènes structure désormais toute une série d’activités de recherche, de formation et de valorisation qui participent, dans le cadre d’une programmation étalée sur toute l’année, à une réflexion générale sur un territoire rural d’aujourd’hui soumis aux changements que nous connaissons . Le programme scientifique participe en effet aux efforts de valorisation du territoire de Saint-Bertrand-de-Comminges en accompagnant la réflexion sur le projet actuel Grands Sites mené par le département de la Haute-Garonne, avec la collaboration de la Région, de l’État/Ministère de la Culture et des mairies de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Valcabrère. L’analyse d’un territoire que permet l’archéologie est au fond un prérequis indispensable de son aménagement et son développement (fig. 8) : c’est même tout le sens d’un projet archéologique trop souvent relégué à une recherche sur un passé révolu et enfermé dans les thématiques et périodisations de l’histoire institutionnelle, alors que la discipline dévoile les mémoires polymorphes d’une population locale, le temps perçu et vécu des sociétés qui se sont succédées en un lieu. C’est ainsi que l’archéologie amène à faire le lien avec l’histoire récente en déroulant le fil de la pratique d’un territoire jusqu’au temps présent.
Le volet recherche et méthodologie de la recherche est, lui, valorisé dans le cadre de publications scientifiques, de conférences et d’un séminaire de recherche universitaire de l’École pratique des hautes études qui propose notamment de réfléchir à ce qu’est une ville à l’époque romaine et au sens des mutations des espaces urbains et périurbains observées avec l’Antiquité tardive et le Moyen Âge. La programmation inclut également la formation à l’archéologie pour les étudiants dans le cadre de sujets de Master, dans le cadre également du chantier de Saint-Just de Valcabrère et des prospections où les étudiants apprennent les techniques et pratiques de l’archéologie. Rappelons que ces stages conventionnés complètent de manière décisive la formation des étudiants et sont essentiels pour les recrutements dans l’archéologie professionnelle. Enfin, le Projet Collectif nous sert de laboratoire sur la médiation archéologique : deux mémoires de Master ont été soutenus sur la médiation de chantier et une thèse est en cours sur le sujet, qui propose une analyse sur quel discours ou quelle archéologie présenter au public . Nous avons accueilli en 2022 plus de 2225 visiteurs comptabilisés et un peu moins de 1000 scolaires sur le chantier de Saint-Just de Valcabrère. Une exposition a également été organisée en collaboration avec le musée départemental de Saint-Bertrand-de-Comminges pendant l’été 2022, qui présentait les premiers résultats de l’enquête archéologique en cours . Son succès (elle a accueilli plus de 10.000 visiteurs) confirme l’attractivité d’un projet scientifique pour le grand public comme l’importance d’une implication des scientifiques dans la médiation. L’objectif de l’archéologie est en effet de transmettre un savoir sur un territoire, en l’occurrence celui de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Valcabrère.
Une période de rodage, de reconnaissance et d’installation de l’équipe archéologique (2016-2020)
Dans la période 2016-2020, le projet scientifique développé à Saint-Bertrand-de-Comminges / Valcabrère a permis d’étudier les marges de la ville de Lugdunum des Convènes en privilégiant l’étude des nécropoles et cimetières comme ensembles structurants de la périphérie urbaine. La place donnée aux morts d’une communauté urbaine donne en effet sens aux modifications de la société en question ; elle tient tout autant compte d’une organisation humaine spécifique des faubourgs, les nécropoles s’articulant avec les routes d’accès à la ville et toute une série d’occupations, militaire, agricole et artisanale, en permanente évolution.
Les méthodes mises en œuvre et les données récoltées ont alors montré qu’une opération scientifique programmée et concertée, adaptée à la géographie locale, associant la prospection géophysique (magnétique, électrique et radar) à des opérations de fouilles ciblées, est susceptible de donner des résultats inédits et novateurs sur la genèse des territoires périurbains d’une ville romaine. Dans cette dynamique territoriale qu’il s’agit de restituer, une attention prioritaire doit être donnée aux marges et aux limites, en principe définies juridiquement, de l’espace urbanisé. Une question non résolue pour l’instant est celle de la présence ou non d’éléments physiques (fossé ou bornes) marquant la limite du sol urbain. Dans ce domaine, l’extension de la prospection géophysique à l’ouest de la ville, dans une zone dépourvue de limite naturelle (ruisseau ou escarpement) et toujours en cours (2022) devrait apporter des éléments de réponse. En revanche, le travail effectué en 2016-2017 dans la périphérie orientale de la ville a permis de montrer que malgré la nécessité impérieuse de réserver aux morts des territoires spécifiques et protégés dans la périphérie urbaine, tout un pan du suburbium de la ville romaine échappe au domaine des nécropoles de la communauté urbaine. D’un côté, au nord, il est vrai à une date tardive (charnière du IIe et du IIIe siècle), un camp militaire est installé ; de l’autre, au pied du Mont Arès, les terrains pouvant accueillir des tombeaux sont confisqués au profit d’une très grande villa et ses établissements satellites. Les données disponibles semblent en effet montrer que le potentiel funéraire du territoire en question est entièrement phagocyté par un seul personnage qui fit construire de son vivant un mausolée, le mausolée d’Herrane, installé dans un vaste écrin d’un hectare délimité par un mur d’enceinte ajoutant à la monumentalité de l’ensemble.
Les sondages d’évaluation implantés en 2017 au lieu-dit Herrane de Saint-Just (Valcabrère) ont permis de mettre en évidence une autre dynamique, associée à l’implantation, cette fois, d’une nécropole du IVe siècle, composée de mausolées disposés autour d’un très grand hypogée installé par un dignitaire local. Les logiques d’implantation de cette nécropole monumentale à 500 m de la ville et à l’origine de la première église de Saint-Just sont progressivement éclaircies : 6 campagnes, soit 8 mois de fouille (2017-2022) sur une surface d’environ 2000 m2 ont été nécessaires pour en comprendre l’évolution. Il s’agit là du minimum d’investissement si l’on veut restituer l’histoire d’un site.
Une ville et son territoire : dynamiques de peuplement de la protohistoire à aujourd’hui.
À partir de 2021, l’investigation archéologique a été élargie à l’ensemble du territoire de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Valcabrère. Il ressort de l’enquête en cours deux axes de réflexion majeurs : d’une part, la ville romaine n’est peut-être pas l’héritière d’un pôle de peuplement protohistorique important (dans le sens où les occupations antérieures à l’époque romaine sont peu développées) ; ce qui fait de la fondation urbaine augustéenne un acte politique fort, en lien avec l’installation d’un système civique inédit : la ville romaine offre de toute évidence un nouveau modèle d’organisation communautaire. Une ville romaine comme Lugdunum est ainsi au premier chef une entité politique ; sa fondation relève d’une décision programmatique intervenue comme ailleurs en Gaule Chevelue autour de 12 av. J.-C., date de la fondation de l’autel du Confluent à Lyon qui marque l’inauguration du système provincial par l’empereur Auguste . Et sa fonction désignée est dès le départ celle de capitale des Convènes, une cité-état définie comme la réunion (c’est le sens de convenae) des peuples aquitaniques longtemps belliqueux, qui habitaient le piémont et les vallées des Pyrénées centrales irriguées par la Garonne et ses affluents. Sur le site de la future Lugdunum, des traces d’occupation assez ténues, localisées au pied de la colline portant la cathédrale et désormais sur le site de Saint-Just, indiquent qu’un pôle de peuplement existait dans la plaine à la fin de l’Âge du Fer, sans que l’on puisse toutefois caractériser son statut précis : il y avait peut-être là une petite agglomération, un point d’appui des Tectosages (d’où le nom celtique de Lugdunum ?), en tout cas un site difficilement identifiable, dans l’état actuel de la documentation archéologique, à un centre indigène d’importance. Le choix du site a certainement découlé du contexte diplomatique du moment, d’une histoire locale que nous ignorons et qui mêlait les intérêts du pouvoir romain et des élites locales qui portaient le projet municipal. L’objectif apparaît toutefois clairement dans les documents administratifs consultés par Pline : la ville a été fondée, dit-il, pour rassembler la diversité des peuplements locaux , mox in oppidum contributi Convenae.
D’autre part, la ville de l’Antiquité tardive ouvre sur une ruralisation du territoire et non pas sur une continuité urbaine, dans une dispersion de l’habitat qui est un héritage du haut Moyen Âge ou même de l’Antiquité tardive. Comme ailleurs, l’agglomération s’est sans aucun doute rétractée, perdant une bonne partie de sa surface sur les périphéries nord et ouest ; elle a également changé de nom, devenant Convenae. L’évolution du site de Saint-Just, situé à 500 m des limites de la ville du Haut-Empire, s’explique très certainement à la lumière de cette profonde transformation urbaine : l’installation d’une nécropole monumentale d’un nouveau genre dans les ruines d’une grande résidence du Haut-Empire témoigne en effet de temps nouveaux, de la modification des structures de pouvoir et des comportements élitaires qui rejaillissent forcément sur l’organisation urbaine. Au tournant du IVème et du Vème siècle, la construction dispendieuse d’une muraille qui vient circonscrire l’actuelle ville haute rend compte d’une accélération de ces changements qui aboutira non pas à la continuité urbaine qu’ont connu la plupart des villes romaines de Gaule, mais à un phénomène de ruralisation du territoire urbain dont Grégoire de Tours semble faire état dès le VIème siècle. En d’autres termes, à peine quatre ou cinq siècles après sa fondation, la ville est retournée aux champs et à l’agriculture vivrière, nous laissant l’héritage d’un village, Saint-Bertrand-de-Comminges, composé de communautés de quartiers et de hameaux.
Les dynamiques territoriales organisées autour de la fondation urbaine et de son déclin sur la longue durée sont évidemment beaucoup plus complexes comme le révèlent les multiples traces observées dans le cadre de la prospection LiDAR. Celle-ci a été mise en place sur une fenêtre de 30 km2 qui englobe les massifs forestiers du piémont du bassin de Saint-Bertrand-de-Comminges ainsi que la plaine alluviale qui porte la ville antique et sa périphérie . Ce travail a pour objectif d’élaborer un atlas des informations vérifiées par des prospections au sol ainsi qu’une modélisation des dynamiques territoriales mises en évidence sur la longue durée jusqu’à aujourd’hui. Pour l’Antiquité, il s’agit notamment de mieux comprendre l’impact d’une installation urbaine sur son environnement proche. Cette étude s’appuie sur les prospections et sondages menés par C. Venco sur l’espace convène dans le cadre de ses recherches de doctorat . Concernant les collines qui ferment l’espace urbain au sud, les carottages effectués par Raphaël Golosetti en 2020 et 2022 à l’emplacement de la ville haute qui porte la cathédrale ouvrent désormais la voie à une requalification du statut d’une éminence, finalement peu étendue avant les terrassements installés avec la muraille du IVème-Vème siècle, mais considérée jusqu’à maintenant comme « la ville haute » de toutes les époques, gauloise à contemporaine . Outre la méthodologie originale déployée, qui devrait faire date, cet axe de recherche est particulièrement prometteur dans le sens où l’étude doit permettre de réfléchir à l’occupation d’un espace central dans le paysage – il porte la ville médiévale et le village actuel – qui est pourtant resté en périphérie de la recherche (fig. 9). On ne sait en effet rien ou presque de l’occupation antique de cette colline qui domine la ville dite basse installée dans la plaine à l’époque augustéenne. Un point fort de la problématique présentée concerne l’époque romaine pour laquelle on n’est pas sûr que l’espace ait été occupé, sinon par un grand monument dont les substructions sont encore visibles au pied de la plate-forme qui porte la cathédrale. Alors se dessine une dialectique particulière entre la ville installée dans la plaine et la colline qui la domine et dont les concepteurs ont tenu compte. L’installation d’une ville nouvelle requérait l’instauration d’une relation particulière à la topographie locale, que nous tentons d’éclaircir par un travail spécifique sur les collines de Lugdunum des Convènes .
Une ville romaine et sa périphérie : étude du fait urbain.
Les grandes fouilles du XXème siècle et l’archéologie aérienne ont permis de dresser un plan de la ville publié en 1992 (fig. 10). Celui-ci montre un centre monumental composé des édifices publics habituels malgré une disposition spécifique (un forum vetus et un forum novum ?), toujours non expliquée, de la place publique. On trouve un temple majeur consacré sans doute au culte dit impérial (Rome et Auguste si l’on en croit le libellé épigraphique de la prêtrise locale), articulé sur le théâtre adossé à la colline grâce à une longue porticus post scaenam, également un macellum qui, rappelons-le, était un marché spécialisé dans la vente des denrées spécifiquement gérées par les autorités publiques (notamment la viande sacrificielle) ainsi qu’un grand balnéaire appelé « thermes du forum ». D’autres monuments sont plus énigmatiques, comme la place située à l’arrière du temple ou le grand hall donnant au sud sur le portique de la place du marché dont l’emplacement et les dimensions permettent peut-être de reconnaître la curie, un édifice essentiel de l’urbanisme romain : il constitue en effet la représentation matérielle d’une cité romaine, l’autonomie étant garantie par l’existence d’un senatus local. Autour du centre monumental, on reconnait également sur le plan dressé en 1992 l’organisation générale de quartiers d’habitation dominés par de grandes domus ainsi qu’un sanctuaire périurbain au lieu-dit « Signan », au pied du Mont Laü.
Les recherches menées depuis 2016, d’abord axées sur la recherche des nécropoles, permettent de compléter le plan de la ville, en dévoilant progressivement les espaces périphériques appelés continentia (ce qui continue la ville) dans l’Antiquité. À l’est, l’espace urbain ouvre sur un espace vierge d’occupation de part et d’autre du ruisseau du Plan que l’on peut proposer, au titre d’hypothèse de travail, d’identifier à des loca publica. Au-delà, la présence d’une route dite d’Espagne n’a pas été vérifiée, non plus celle d’une nécropole alignée sur celle-ci. En revanche, les prospections géophysiques assorties d’une fouille ont permis de reconnaitre un mausolée intégré dans une grande enceinte délimitant un hortus d’un hectare, vraisemblablement rattachée à une grande résidence suburbaine . Un axe de direction nord-sud et descendant de la route principale sortant du camp de Tranquistan semble montrer que toute la périphérie orientale de la ville de Lugdunum a été impactée par la présence d’un camp militaire en dur, mieux connu désormais grâce aux prospections magnétiques et radar de l’Institut Autrichien de Vienne (S. Groh). Ainsi, Lugdunum serait en fait une ville bicéphale, partagée entre une agglomération civile et un camp, à partir de l’époque sévérienne ou peut-être même avant, ce qui expliquerait l’homogénéité des aménagements et des axes viaires repérés autour du camp. En attendant une fouille indispensable pour reconnaître la fonction précise de cet établissement situé très loin de la frontière de Germanie et dans une région non menacée, également et surtout la période de stationnement de la garnison, il est possible d’identifier un camp de cohorte classique avec deux voies qui se coupent à angle droit, les baraquements des différentes centuries et les principia organisés autour d’une vaste cour intérieure .
À l’ouest, la limite de la ville n’est pas connue avec précision, les derniers relevés géophysiques montrant que l’espace est densément occupé au moins jusqu’au cimetière actuel et sans aucun doute au-delà (fig. 11). La zone bâtie reconnue de l’agglomération est pour l’instant à peine supérieure à 50 hectares, ce qui fait de Lugdunum une ville relativement modeste, d’une taille équivalente à Pompéi, mais très en dessous des grandes villes des Trois Gaules qui dépassaient souvent la centaine d’hectares. Dans le quartier de Signan qui désigne le vallon séparant la ville haute actuelle du Mont Laü, on trouve un sanctuaire composé de plusieurs temples associés à un grand édifice de nature indéterminé (un balnéaire ?) que l’on peut attribuer au lieu de culte de la communauté urbaine : les édifices religieux sont exactement contigus à l’espace urbanisé de la ville, dans une configuration proche de celle rencontrée à Trèves (Altbachtal) et à Avenches (Cigognier), comme si cette position liminale des dieux construisait une articulation nécessaire avec le territoire sur lequel la ville régnait ; cet emplacement donné aux dieux, en périphérie immédiate, était tout autant adapté à leur rôle de gardiens de la communauté urbaine.
Quant à la structure urbaine, le premier travail consiste à générer un SIG compilant toutes les données obtenues, anciennes et récentes . Il s’agira ensuite de travailler sur le développement de l’urbanisme à partir de la fondation augustéenne et de caractériser le processus de rétractation urbaine jusqu’aux phénomènes de mise en culture des anciens espaces urbains. On s’attachera en particulier à l’explication et la compréhension de ce qui « fait ville » pour reprendre l’expression de Michel Agier , en s’interrogeant sur la façon dont les citadins de Lugdunum se sont adaptés au nouveau schéma urbain proposé, comment ils ont forcément bricolé et inventé leur ville. Il s’agit ainsi moins de réfléchir à un modèle urbain déjà bien connu et étudié (le forum, les temples, les domus pour reprendre la nomenclature tacitéenne, Tac., Agr. 21) que de voir comment s’organisent les communautés de voisinage qui composent la ville à l’époque romaine, groupées autour de grands balnéaires comme ceux de Sales Arrouges ou les Thermes du Nord qui sont au premier chef des lieux de sociabilité essentiels et de cohésion urbaine. L’archéologie est en effet parfaitement capable d’identifier la ville telle qu’elle était vécue, la ville en chantier et en mouvement. Un travail spécifique sur les axes viaires qui la structurent ainsi qu’une étude fine sur les découvertes monétaires, l’instrumentum et la céramique dans l’espace urbain devraient le confirmer très prochainement.
Territoires urbains et topographie funéraire de l’époque romaine au Moyen Âge.
Les nécropoles, très mal connues à Saint-Bertrand-de-Comminges, constituent un autre angle d’approche privilégié dans la compréhension de la ville antique et médiévale. Concernant la topographie des ensembles funéraires du Haut-Empire, il est possible d’identifier la nécropole de la route de Toulouse, aujourd’hui recouverte par le village de Valcabrère, comme la nécropole suburbaine principale de l’agglomération qui fonctionne comme il se doit avec la grande entrée de la ville. Une autre nécropole, la nécropole de Barsous, existait le long de la route de Dax, à plus d’un kilomètre à l’ouest de l’agglomération ; elle a pu être repérée par les images LiDAR dans les taillis qui bordent la route actuelle. L’évolution des pratiques funéraires est, elle documentée, par la fouille d’une nécropole monumentale du IVème siècle, atypique parce qu’installée en dehors de tout axe viaire et organisée autour de mausolées monumentaux dont un hors norme par ses dimensions : la chambre funéraire hypogée construite à l’origine en grand appareil de marbre blanc fait plus 100 m2 et 3 m de profondeur avec dans un angle, une superstructure montée sur des murs de 1,20 m de large. Cet ensemble funéraire, situé à proximité de l’église romane de Saint-Just de Valcabrère, dans la périphérie orientale de la ville, est extraordinaire dans le sens où il documente une façon nouvelle de présenter la et les morts à partir du IVème siècle apr. J.-C. (fig. 12).
Loin de se résumer à une nécropole de l’Antiquité tardive, le site de Saint-Just de Valcabrère apparaît désormais, après cinq campagnes de fouille (2018-2022), comme un véritable pôle de peuplement occupé à partir du 2ème Âge du Fer. Pour l’instant, la première occupation est limitée à une structure indéterminée qui rappelle les foyers à pierres chauffantes de l’époque antérieure, associée à de la céramique : une coupe ou une jatte assez caractéristique de la vaisselle celtique et une urne balustre (un dernier objet, une petite coupe parait plus ancien). Au Haut-Empire, le constat est désormais celui d’un complexe résidentiel monumental construit au IIème siècle de notre ère, dans une parcelle limitée à l’ouest par un fossé. La difficulté tient pour l’instant à l’interprétation de l’ensemble, composé de plusieurs corps de bâtiments articulés par des murs d’épaisseurs variées et d’orientation différentes. Ce grand complexe est en ruine lorsque s’installent les premiers monuments funéraires de la nécropole tardive vers 300 de notre ère (fig. 13).
Le strict alignement des mausolées A, G et B, D et leur constitution selon un même module indiquent que l’installation de cette nécropole monumentale a suivi une programmation planifiée, nécessairement par un pouvoir qui avait la volonté de créer un cimetière communautaire. En effet, si les autorités publiques avaient simplement viabilisé une aire funéraire, et distribué ou vendu les lots, les monuments respecteraient des modules et une architecture variée. Le fait que les quatre mausolées A, G et B, D soient tournés vers le grand hypogée K et que ce dernier soit contemporain des premiers montre que le cimetière en question a été organisé autour d’un mausolée beaucoup plus grand que les autres, que l’on peut attribuer au membre ou à la famille dominant du groupe. Ajoutons que le statut particulier et prééminent du mausolée K est confirmé par la longévité du monument jusqu’à l’An Mil, date de sa spoliation, alors que les mausolées B et D sont abandonnés très tôt et pillés dès la première moitié du Vème siècle.
Clairement, cette nécropole est établie selon des critères nouveaux qui ne respectent plus la topographie des tombeaux du Haut-Empire qui étaient structurée par un axe viaire, une route d’accès à la ville, nécessaire parce que la mort, à l’époque romaine, devait s’exposer sur le domaine public . On remarque également une hiérarchisation inédite de l’espace funéraire, avec des tombes installées à l’intérieur des mausolées, certaines dans des sarcophages comme dans les monuments B et D, d’autres dans des tombes bâties avec couverture en mortier comme dans le monument A, alors que dans le courant du IVème siècle ou dans la deuxième moitié du même siècle, des sépultures sont progressivement organisées en rangées devant les mausolées A et G. Ce type de disposition en rangées est particulier ; il peut renvoyer à la mise en place d’aires funéraires communautaires et non plus seulement familiales comme auparavant. Ces tombes sont profondes, ce qui permet de rendre le dépôt osseux du défunt inviolable, et dépourvues de tout mobilier sauf dans quelques rares cas où le mort est accompagné d’un balsamaire en verre.
À cette époque, le recrutement funéraire est en outre caractérisé par l’introduction d’une classe d’âge jusque-là écartée de la mémoire familiale, à savoir les périnataux. En effet, un espace leur est dédié dans le pronaos du mausolée A, de part et d’autre du passage qui permettait de rentrer dans le monument. On note toutefois la position intermédiaire de ces tombes qui ne sont pas installées dans la chambre sépulcrale, mais dans le vestibule formé par le pronaos, séparé de l’extérieur par un petit mur bahut. L’installation des périnataux dans l’entrée du monument ou dans les secteurs proches des mausolées indique l’attribution d’un nouveau statut donné à cette classe d’âge par la communauté qui installe ses morts sur le site de Saint-Just. Un dernier point mérite d’être signalé : la douzaine de fragments de sarcophages à scène chrétienne du IVème siècle découvert sur le site nous assure que la communauté chrétienne locale enterre ses morts dans la nouvelle nécropole. Il s’agira d’estimer en revanche le poids de cette communauté dans l’organisation de la transition funéraire mise en évidence.
Après une période de pillage intervenue dans la première moitié du Vème siècle, la nécropole connait une nouvelle phase d’occupation entre le Vème et le VIIème siècle. Cette phase est marquée par un développement de l’aire funéraire dans le prolongement sud de la nécropole du IVème siècle et au sud du mausolée K toujours en fonction . Les tombes continuent d’être disposées en rangées, parfois serrés comme à l’emplacement du porche du monument F. On note, comme auparavant l’absence de mobilier dans les sépultures, à l’exception d’un couteau déposé dans la sépulture d’un immature. Une autre particularité est que les tombes de cette époque sont moins profondes qu’au IVème siècle ; le défunt était inhumé soit dans un cercueil dont on conserve les clous ayant fixé les planches, soit en pleine terre. Deux sépultures en sarcophage ont également été fouillées. À partir du VIIIème siècle, le cimetière est déplacé vers le nord du mausolée K et le bâtiment L, même si des sépultures continuent d’être installées dans les secteurs A, G et F, mais de manière ponctuelle et le long des murs extérieurs du complexe funéraire du IVème siècle, ce qui semble montrer que le souvenir des ensembles funéraires des phases funéraires précédentes est encore marqué ou du moins perceptible. Une autre particularité est le changement d’orientation des sépultures non conditionnées par la présence des murs antiques, qui adoptent désormais une orientation nord-sud.
L’An Mil marque un tournant, à double titre, d’abord parce que le processus funéraire s’interrompt, ensuite parce que le lieu est réinvesti par un hameau ou village installé dans les ruines des mausolées, désormais tous abandonnés. La première phase de ce changement est marquée par le démantèlement complet du grand mausolée K. Les ruines sont réoccupées par des petits bâtiments entourés de silos et de fosses. Cette phase est contemporaine de la construction de l’église romane actuelle dans la première moitié du XIème siècle et de l’installation du premier cimetière paroissial dont quelques tombes ont été fouillées à l’est du bâtiment K.
Légende des figures
Fig. 8 – Sous les champs, la ville de Lugdunum des Convènes (cliché F. Giraud).
Fig. 9 – Carottage en ville haute (cliché F. Giraud). Cette étude entreprise par R. Golosetti (Sorbonne Université) permet d’évaluer l’occupation de la colline principale sur la longue durée.
Fig. 10 – Plan provisoire de Lugdunum des Convènes reprenant le relevé de 1992 (J.-L. Paillet et C. Petit) et les données récentes sur la périphérie orientale (DAO A. Durand, W. Van Andringa).
Fig. 11 – Relevé géophysique (Q. Vitale, Eveha International) montrant les quartiers urbains de la périphérie occidentale. La méthode radar (à gauche) donne des résultats nettement plus intéressants que la prospection électrique (ARP à droite).
Fig. 12 – Vue prise de drone du site de Saint-Just. Une nécropole monumentale installée dans les ruines d’un complexe résidentiel du Haut-Empire (cliché F. Giraud).
Fig. 13 – Plan de la nécropole du IVème siècle (A. Defauconpret). Les mausolées A, B, D, F, G et K sont installés dans un complexe du Haut-Empire en ruine (en gris).
BIBLIOGRAPHIE
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PAILLET, PETIT 1992 J.-L. PAILLET, C. PETIT, Nouvelles données sur l’urbanisme de Lugdunum des Convènes. Prospection aérienne et topographie urbaine, Aquitania, 10, p. 109-144
QUERE, VAN ANDRINGA 2022 J. QUERE, W. VAN ANDRINGA (éd.), Archéologie au Village. Une enquête en cours sur le territoire de Lugdunum des Convènes, catalogue d’exposition, Conseil départemental de la Haute-Garonne.
REDDE, VAN ANDRINGA 2015 M. REDDE, W. VAN ANDRINGA (dir.), La naissance des capitales de cité en Gaule Chevelue, Gallia, 72-1.
SABLAYROLLES, MARAVAL 2016 R. SABLAYROLLES, M.-L. MARAVAL, Monumental et après ? Évolution urbaine d’une capitale romaine au cœur des Pyrénées, dans A. Bouet (éd.), Monumental ! La monumentalisation des villes de l’Aquitaine et de l’Hispanie septentrionale durant le Haut-Empire, Actes du colloque de Villeneuve-sur-Lot, 2015, Aquitania Suppl. 37/1, Bordeaux, 2016, p. 345-378.
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VAN ANDRINGA, GROH 2019 W. VAN ANDRINGA avec la coll. de S. GROH, Face à la ville : le mausolée d’Herrane à Saint-Bertrand-de-Comminges/Lugdunum des Convènes, Gallia, 76-1, p. 55-70.